lundi 7 février 2011

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU



Tout est occasion à trébucher avec Proust... On avait eu la bande dessinée, voici le téléfilm, adapté et réalisé par Nina Companeez. Si Losey et Visconti, réalisateurs de haut vol obsédés par le roman de Proust, ont renoncé à le transposer au cinéma, que peut-on attendre de la version télévisée, façon série Maupassant? Rien d'autre qu'un prétexte à apprécier ou refuser les choix de Companeez...
Soyons honnêtes, on peut trouver un certain plaisir à voir mis en images certains passages de la Recherche qui se prêtent par leur théâtralité ( personnages hauts en couleurs, dialogues efficaces, scènes scandaleuses ou dramatiques) à une mise en scène spectaculaire. Pour ce qui est de la reconstitution historique, décors, costumes, paysages, photographie... le résultat est souvent à la hauteur, même si l'ensemble sent un peu son bourgeois. Visconti, maniaque du détail, aurait plus sûrement donné une dimension aristocratique au salon Guermantes ou aux scènes d'opéra et aurait filmé la mer de Balbec avec un éclat de lagune vénitienne.
Le choix des acteurs est aussi intéressant, peu de célébrités gréffées à des personnages chers aux lecteurs, contrairement à chez Raoul Ruiz ( Le temps retrouvé) afin d' éviter les rejets immédiats, mais souvent des acteurs de la Comédie Française au phrasé impeccable. On adore Didier Sandre, fantastique et émouvant Charlus, Dominique Blanc en Mme Verdurin fait des merveilles. La jolie Albertine est d'une fraîcheur parfaite ainsi que les jeunes filles en fleurs sorties du cours Florent aussi belles que des baigneuses de Renoir. Les références à la peinture impressionniste d'ailleurs abondent et charment les yeux.





La grande difficulté consiste dans les choix scénaristiques, la sélection des épisodes essentiels sans s'apesantir et sans nuire à la fluidité du récit : défi impossible à relever en 3h30 de téléfilm!D'où le recours permanent à la voix-off, jusqu'à en couvrir parfois les dialogues, aveu d'incompétence narrative de tout cinéaste incapable de traduire ce qui fait la substance de l'oeuvre de Proust : le passage du temps. Alors, on voit défiler toutes les têtes attendues, on joue au who's who...





...et on laisse se succéder les rares actions qui émaillent un roman où l'essentiel est dans l'analyse psychologique, les descriptions sublimes et interminables, la fulgurance du style, l'acuité du regard et la réflexion morale et esthétique ( pour tenter de faire simple!).
Le baiser à Albertine r exemple, occupe plusieurs pages d'une prose magnifique et se réduit à l'écran à un jeu de langues un peu sec et trivial. Tout ce qui est vu, senti et vécu par le prisme fabuleux du narrateur- poète se retrouve éludé ou illustré par des scènes expéditives. Evidemment.


S'il est un point sur lequel l'adaptation est inexcusable c'est sur le choix de faire du narrateur une caricature du Proust réel en l'afflublant de tous les tics, manies, caprices et ridicules dont regorgent les biographies. Micha Lescot, dont le talent n'est pas mis en question ici, a créé à la perfection un personnage irrecevable pour le spectateur! On croirait avoir affaire à une version fin de siècle de Mister Bean, degingandé, chochotte, inconsistant, niais!! Comment éprouver de l'empathie pour ce narrateur si grotesque? Companeez nous donne à voir le jeune Proust tel que le voyait la bonne socièté qu'il fréquentait: un original précieux, un mondain pathétique, un grand malade abusé et naïf que tous exploitent.




C'est une confusion grave que celle du narrateur, cet "être de papier", avec l'écrivain Proust, confusion que Barthes appelait le "marcellisme". En effet toute l'oeuvre de Proust repose sur le principe qu'un auteur ne peut être réduit " à ce misérable petit tas de secrets" qu'est sa vie intime, ni à son image sociale ni aux accidents de sa biographie sentimentale. Ce sont là les bases du "Contre Sainte-Beuve" dont est sortie toute la Recherche: un artiste est autre chose que l'homme du quotidien dont nous parlent les biographes. Sa vraie qualité, sa substance, son essence se trouvent dans son oeuvre, distillées, raffinées, formulées et révélées telles de véritables énigmes existentielles.
La vérité d'un artiste est dans son roman et nulle part ailleurs. Ce téléfilm a confondu les genres en les vulgarisant. Qui peut avoir envie de se plonger dans le roman et de souffrir pendant sept volumes les aventures niaiseuses de ce narrateur si agaçant? Encore une fois on voit combien de grands romans font souvent de mauvais films. Et tout le mérite de cette adaptation est de nous donner envie d'aller flâner du côté du roman pour se rendre compte combien Proust, caché derrière le miroir du monde, y est infiniment plus adorable.

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