samedi 5 décembre 2009

LA GRÂCE ET LA PESANTEUR



Le mysticisme en France est regardé d'un oeil cartésien très critique. C'est peut-être ce qui explique que la magnifique destinée de Simone Weil soit encore reléguée à l'arrière plan et qu'on la confonde avec son homonyme dans la politique. Pour ce qui est du féminisme, la philosophe Weil l'illustre de manière exemplaire dans ses choix existentiels et le transcende dans ses actes, comme on parlerait des actes d'une sainte ou d'un apôtre.

A la manière de Pascal, l'esprit brillant de cette jeune normalienne l'a menée à étudier divers domaines intellectuels très pointus: philosophie, mathématiques, hellénisme, théorie économique et politique... Son insatiable curiosité et ses dons surnaturels l'ont conduite sur tous les chemins du savoir.
Ses Carnets en sont le reflet vertigineux où les équations complexes voisinent les taductions et commentaires de vers d'Homère, et les concepts marxistes les aphorismes sur la foi.

Tout devait conduire cet esprit de géométrie et de finesse à passer son temps confiné dans les grandes bibliothèques occidentales à rédiger d'obscures thèses. Or cette enfant de bonne famille bourgeoise quitte le sérail et portée par sa passion pour la cause sociale et de profondes convictions marxistes décide d'aller travailler plusieurs mois dans une usine, sur une chaîne de montage, pour sentir dans son corps la douleur du travail ingrat et l'écrasement produit par l'oppression industrielle.
Elle en ressortira brisée et dépouillée de toutes formes d'illusions sur la question du travail, plus marxiste que jamais.



La guerre la chasse avec sa famille juive, à New-York et puis à Londres où elle espère rejoindre la résistance. Mais la voici aux prises avec une révélation d'ordre mystique qui la bouleverse et la retourne comme un gant. Dès lors Simone s'acheminera sur la voie torturée et éblouissante de la foi catholique dans une conversion qui la marginalisera davantage. Son corps sera le siège d'une joie immense et d'une douleur rédemptrice qu'elle n'aura de cesse de vouloir élucider et approfondir jusqu'à s'y brûler.

Anorexique, malade, retirée du monde et illuminée, elle s'éteindra en laissant une oeuvre dense qui aura, en quelques livres, fait le tour des grandes problématiques humaines : vivre en soi, avec les autres et tendue vers un idéal et un au delà.
Incandescente, fulgurante, aigüe et torturée, Simone Weil mérite aujourd'hui d'être redécouverte et célébrée à la pleine mesure de son génie et de son humanité.



"J'ai moi aussi une espèce de certitude intérieure croissante qu'il se trouve en moi un dépôt d'or pur qui est à transmettre... Il n'y a personne pour le recevoir. Cela ne me fait aucune peine. La mine d'or est inépuisable."

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