samedi 23 mai 2009

LA VOIX ROYALE


"Les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter mais personne ne pourra dire que je n'ai jamais chanté." Ainsi parlait Florence Foster Jenkins milliardaire excentrique du début du siècle qui convaincue d'être une des plus grandes sopranos de son temps finança son rêve avec la mégalomanie la plus totale. Non contente de donner pendant des années des séries de récitals dans la salle de bal du Ritz de New-York, cette "artiste" brimée par sa famille s'offrit le luxe du succès et de la postérité en enregistrant plusieurs albums ( pièces rares aujourd'hui!) et en se produisant au Carnegie Hall où elle fit salle pleine, comme canular ou phénomène de foire, sans jamais vouloir en convenir.
La vérité est que de diva Jenkins n'avait que la démésure et les caprices. Sa voix inaudible est celle d'une concierge s'époumonnant à chanter la reine de la nuit sous la douche! Aucune musicalité, aucun don sinon celui de ne point percevoir son ridicule, ce qui ma foi aide grandement à vivre et à être heureux.
Sur ce personnage hors norme plusieurs pièces de théâtre ont récemment été écrites qui savent toutes exploiter le grotesque et le pathétique de cette figure d'opéra comique. Celle-ci rejoint le panthéon burlesque où paradent Monsieur Jourdain, Matamore, le Baron de Charlus, la Castafiore et Zaza Napoli. On imagine d'ailleurs combien auraient su déployer tout leur talent histrionique un Michel Serraut, une Jacqueline Maillan ou une Micheline Dax ( bonjour les références théâtrales, " Au théâtre ce soir"!) tous parfaits pour ce rôle en or.





A Buenos-Aires c'est Karina K qui tient brillamment le rôle de cette oeuvre "Souvenir" de Stephen Temperley qui se joue dans le beau théâtre Regina. Les performances vocales de l'actrice sont hilarantes! Je ne crois pas avoir autant ri au théâtre ni dans la vie depuis longtemps. C'est que ce détournement des sublimes arias comme l'Ave Maria ou l'air des bijoux de Gounod en farce clownesque et ut mineur est à pleurer de rire.
Par ailleurs la pièce est une remarquable satire des prétentions artistiques de chacun de nous, des ravages de la vanité et du franchissement joyeux de la ligne du ridicule. La cantatrice version "casseroles et faussets" ( titre d'une chanson de Juliette qui traite de FF. Jenkins!) nous donne en fait une leçon d'entêtement et de félicité. Cet affranchissement total de l'opinion d'autrui n'est-il pas finalement une des voies royales empruntées par le génie ou le fou pour donner pleine réalisation à son délire. Artistes, amoureux, criminels... tous cèdent à la grande tentation d'aller au bout de leur désir, de donner corps et formes à leur vision du réel. La diva Jenkins prétendait avoir l'oreille absolue et n'entendait pas les rires sarcastiques de son auditoire.
La force de l'auto-conviction serait-elle la clef du bonheur?
La pièce au final émouvant nous conduit vers cette réflexion douce-amère.

En tout cas il faut entendre au moins une fois le chant de la vraie Jenkins pour faire démentir la célèbre phrase que Laclos prête à la Merteuil "La vanité et le bonheur sont incompatibles".
Sur le lien suivant, un extrait de Mozart "La flute enchantée" pour ceux qui ne reconnaîtraient pas!

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