jeudi 20 novembre 2008

JEANNE DE FRANCE


Les grandes amours comme les grandes douleurs sont muettes. Quant il s'agit de Jeanne Moreau il faudrait savoir être maître de son silence car les hommages sont de vains bavardages qui souvent ratent leurs buts. Je me contenterai alors de quelques mots et quelques images permettant de poser quelques jalons à propos de mon attachement à l'actrice, la chanteuse, la femme.

Première émotion avec cette photographie des années soixante récupérée dans un carton de ma tante ( laquelle s'identifie à l'actrice pour son caractère indomptable!)"La célébrité, la publicité, photographiée ou interviewée, mais quel effet cela vous fait?". Cette photo me semble répresenter un certain star system désuet genre studio Harcourt avec ce collier qui brille et ses cheveux laqués. Elle a toujours su nous donner cela aussi ce glamour obligatoire de la vedette de cinéma qui est comme un vernis sur la toile de ses talents de comédienne lesquels cherchent eux par contre à nous donner une idée de la profondeur et du trouble.





Puis c'est à la télé que je la croise à la fin des années 8O quand Henry Chapier la reçoit pour son émission Le Divan où elle fait preuve d'une sincérité et d'une morale libertaire qui me surprennent et me séduisent.Elle est déjà Madame Moreau de la maturité, avec ce visage "détruit" comme dirait son amie Duras, détruit et donc forcément sublime faut-il s'empresser de rajouter! Rides, maquillage et bistouri, rien ne réduit le mystère et le charme de ce visage de sphinx auquel il faut unir cette voix énigmatique de panthère enrouée. Cette coexistence unique d'un visage et d'une voix si extrêmement captivants explique pour beaucoup le charme spécial qui opère quand elle apparaît. Cocteau ne s'était pas trompé qui lui avait confié le rôle de la sphinge dans La machine infernale. Et c'est Fassbinder qui en la transfigurant en cette sorte de mère maquerelle dans Querelle a le mieux exploité ce côté "salope chic sur le retour" qui nous la rend irrésistible (bonjour l'hommage!). Moreau près d'un piano chantant du Oscar Wilde "Each man kills the thing he loves" et mon monde est complet!





A quinze ans je découvre enfin ses talents de chanteuse avec la réédition en CDs de ses nombreux albums. Elle chante Rezvani, Triolet, Norge, extraordinaire poète belge qu'elle divulgue au grand public. Dommage qu'elle n'ait plus voulu chanter après la cinquantaine avec cette voix qu'on lui connaît et qui rayonne comme un crépuscule dans l'envoûtante India song que Duras lui écrivit. C'est un classique certes mais tout ce que cette dame touche se transforme en moment d'anthologie.

http://www.youtube.com/watch?v=w9fLfi9nZmI

Les chansons de Jeanne accompagnent ma vie avec leur légèreté, leurs fêlures, leur poésie naïve et teintée de grâce et d'amertume, leurs rythmes exotiques ou mélancoliques. Ma préférée c'est "Tantôt rouge tantôt bleu". Et aussi "Les ennuis du soleil". Sans oublier " Joana a francesa " de Chico Buarque pour le clin d'oeil perso brésilien. Mais le plus renversant, j'y songe, c'est ce poème de Vinicius de Morais Poema dos olhos da amada qu'elle récite alors que Maria Bethania le chante en portugais. A écouter malgré le kitch floral de la vidéo, les yeux fermés! pour ceux qui ne connaissent pas c'est un cadeau ENORME!

http://www.youtube.com/watch?v=CliOegmOMuc&feature=related






Après Jeanne qui chante je fréquente les ciné clubs et je découvre vraiment l'actrice... et avec elle l'histoire du cinéma. Il suffit de la suivre pour se faire une culture cinématographique de qualité. Malle, Truffaut, Demy, Loosey, Antonioni, Welles, Buñuel... arrêtons la liste à faire pâlir de jalousie les actrices concurrentes. Quelles concurrentes? A suivre quelques affiches sur l'écran noir de mes nuits blanches...





















Et pour le plaisir retrouvons les yeux aimé de la Marie de la Baie des anges, un rôle de platine où en héroïne de Demy elle révèle tout son éclat de cristal brisé et coupant.




Et puis enfin au théâtre je la découvre pour un sortilège dramatique dans une mise en scène de Antoine Vitez au festival d'Avignon de 1989 "La Célestine" de Fernando Rojas. Jeanne en vieille marieuse au visage balafré, sorcière géniale du palais des Papes tissant le fil des amours entre elle et le public. Je ne crois pas pouvoir cueillir dans l'avenir un pareil souvenir de magie théâtrale, d'émotion devant les mystères d'un art qui atteint si difficilement la perfection et devant une de ses prêtresses absolues. Certes j'avais 17 ans et un coeur qui battait à la seule évocation du mot "théâtre". Et la Moreau était le parfait accélérateur atomique de pulsations cardiaques qu'il m'ait été permis d'approcher! Hélas pas d'images de ce souvenir à vous livrer. Fermez les yeux, imaginez... Ou alors songez à ce que dut être cette autre nuit estivale où Jean Vilar la présenta dans cette même cour d'honneur dans Le prince de Hombourg avec Gérard Philippe, pendant masculin parfait.




Enfin il fallait bien un rendez-vous à cet amour silencieux qui se nourrit de salles obscures et de vynils grésillants... Il eut lieu furtivement mais intensément un hiver de 1991 dans une librairie de Montpellier où Jeanne Moreau dédicaçait un CD de textes lus de Yourcenar (autre monstresse!). Je m'y rendis en pèlerin ( à 500 mètres de mon dortoir d'hypokhagneux!) et je m'approchai de la sphinge sexagénaire pour lui déclarer ma passion et repartir avec un regard plongeant sur moi, un remerciement à ma déclaration et un bel autographe! Je confesse avoir guetté le moment de sa sortie, sur la place de la Comédie encore enneigée, c'était la nuit, en face le ciné Gaumont illuminait l'affiche de L'amant dont elle était la narratrice durassienne ( encore elle!) et j'avoue que j'ai suivi la petite dame emmitouflée sur quelques centaines de mètres avant qu'elle ne s'engouffre dans un taxi. Oui, j'étais un adolescent qui suivait clandestinement les vieilles dames qui marchent dans la nuit. Ah comme j'aurais voulu être son Yann Andréa alors!








Aujourd'hui, on rêve de jeanne Moreau comme grand-mère universelle et exclusive! Même si elle déteste ce genre de rôle, celui qu' Ozon osa lui confier dans le magnifique Le temps qu'il reste. On ne sait plus parfois si on rêve d'être à la place de Melvil Poupaud ou celle de Jeanne toutefois... un dilemne que même Corneille n'aurait osé nous soumettre.




En guise de conclusion la promesse d'une autre série sur Jeanne de France et une envie de prendre un bain de jouvence avec elle...




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